Presque tous vos produits sont fabriqués en Côte d’Ivoire… Pourquoi ce pays, alors que vous êtes toutes d’origine camerounaise ?
(Sandrine)
La Côte d’Ivoire est un point d’accroche, car nous y avons développé notre réseau d’artisans. Effectivement, beaucoup de nos produits sont fabriqués en Côte d’Ivoire, mais pas tous ; certains viennent par exemple du Rwanda, c'est le cas des paniers. La Côte d’Ivoire est un point de départ, mais notre ambition est de valoriser les produits venant de tout le continent.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’entreprendre à 3 ? N’aviez-vous pas peur de briser votre amitié ?
(Sandrine)
Très bonne question. Nous nous sommes nous-mêmes posé cette question et pour y répondre, on a décidé de mettre à plat nos compétences à toutes les 3.
On avait besoin d’une personne sur le continent pour développer la relation avec les artisans, c’est le rôle d’Elodie
Ingrid travaille davantage sur la direction créative du projet.
Moi (Sandra), je suis concentrée sur la structuration et le marketing
Nous avons chacune nos activités professionnelles respectives, mais Manoka est pour nous un moyen de nous réunir autour de nos valeurs communes, une source de bonnes énergies, et notre contribution au développement du continent.
(Ingrid)
Ce que Sandrine a dit est très juste. J’aimerais rajouter que nous sommes très panafricaines et donc croyons fermement au potentiel africain. C’est-à-dire que nous essayons de consommer au maximum du black-owned et de valoriser nos origines africaines. C’est important pour nous d’être fières de qui nous sommes sans pour autant être écrasantes envers les autres communautés. C’est pour ça que nous avons été très sensibles au projet Yesbob dès la première fois que nous en avons entendu parler, parce que ça résonne avec nos valeurs personnelles, mais aussi avec les valeurs que nous prônons à travers Manoka.
Pouvez-vous citer 1 échec, 1 victoire et 1 anecdote super drôle que vous avez vécu durant votre parcours avec Manoka ?
(Sandrine)
Notre première victoire a été de se lancer, de passer à l’action, malgré nos activités parallèles.
Au début, on a eu beaucoup de mal à faire respecter nos exigences auprès de nos artisans sur le continent. Nous avons dû annuler énormément de produits et ça nous a fait perdre beaucoup d’argent, de temps et d’énergie. Mais à force de persévérance, on y est finalement arrivées. Ça a été un échec financier, mais un gain pour notre expérience entrepreneuriale.
(Ingrid)
Une autre belle victoire selon moi a été les premières rencontres avec nos clients, que ce soit lors de nos livraisons ou lors du premier pop-up que nous avons organisé.
C’est vrai que la communication avec les artisans sur le continent est souvent très difficile. Cependant, je ne le prends pas comme un échec, mais plutôt comme une épreuve à surmonter.
(Elodie)
C’est vrai, la principale difficulté dans l’aventure Manoka est la communication avec les artisans, la capacité à leur faire produire exactement ce que nous avons toutes les 3 en tête. C’est un challenge perpétuel, mais nous nous améliorons au fil du temps, et les retours que nous avons, notamment des clients, sont positifs.
Concernant l’anecdote drôle : on avait passé une commande avec des instructions très claires et détaillées. Au dernier moment, lorsqu’on a récupéré la commande, on s'est rendu compte que le produit n’avait absolument rien à voir avec ce qu’on avait demandé. Maintenant on en rit, mais sur le coup, ce n’était pas drôle.
En tant que femmes noires, les challenges que vous rencontrez dans vos vies entrepreneuriales et dans vos vies de salariées respectives sont-ils les mêmes ?
(Élodie)
Avec Manoka, nous ne sommes pas confrontées aux frustrations que nous pouvons avoir au sein de nos emplois respectifs. Manoka, c’est une espèce d’échappatoire par rapport à toutes les frustrations que l’on peut ressentir au boulot. Que ce soit en France ou sur le continent (où j’ai travaillé dans une entreprise française), les frustrations ressenties en tant que femme noire salariée en entreprise ont été les mêmes pour moi. Manoka est un échappatoire à tout cela.
(Ingrid)
Pour rebondir sur ce que dit Elodie, l’entrepreneuriat et le salariat sont totalement différents. Le salariat, tu le subis, alors que ton business, tu le drives. En tant que femme noire, les frustrations ressenties en entreprise peuvent parfois être intenses. C’est mon cas par exemple. Je travaille dans un milieu très strict, il suffit que je porte quelque chose qui rappelle mon africanité, je ressens le jugement dans les regards, dans les discours ou l’attitude de mes collègues envers moi. Et je subis cela parce que je ne choisis pas mes collègues. Mais quand je travaille dans le cadre de Manoka, je ne ressens rien de tout cela, essentiellement parce qu’on choisit nos interlocuteurs, nos partenaires…
Mais attention, je ne suis pas en train de dire que l’entrepreneuriat est mieux que le salariat ou que tout le monde doit entreprendre, non ! L’entrepreneuriat est très difficile, surtout quand on entreprend seul.e. Le salariat t’apporte un certain confort et une stabilité que tu n’as pas vraiment dans l’entrepreneuriat.
Selon moi, le plus important, c’est de se sentir bien dans ce qu’on fait. Que ce soit dans le salariat ou l’entrepreneuriat, l’essentiel est de créer un environnement dans lequel on est à l’aise, car quand on l’est, ça se ressent sur notre travail, sur notre produit, notre évaluation.
La chance qu’on a avec Manoka, c’est qu’on est toutes les 3 alignées sur la même vision et ça rend notre aventure entrepreneuriale très agréable à vivre.
Justement, comment faites-vous pour conserver votre amitié malgré votre aventure entrepreneuriale ? On a vu beaucoup d’amitié se briser après avoir tenté d’entreprendre. Quel est votre secret ?
(Elodie)
Dès le début, nous avons fixé les bases. On avait déjà eu l’occasion de collaborer toutes les 3 sur le projet d’Ingrid, donc on connaissait assez bien les forces et les faiblesses de chacune dans le cadre du travail. C’est pourquoi dès le début de Manoka, on a décidé de tout mettre à plat.
Dans un business, il faut être très constant, or dans la vie de tous les jours, ça arrive souvent d'avoir des moments de mou. Notre force, c’est qu’on se connaît très bien et donc on sait percevoir quand une de nous traverse un moment de mou et on sait agir en conséquence afin de rester soudées.
(Ingrid)
Ce qui est bien dans un système à trois, c’est que s’il n’y a pas de compromis, alors c’est la majorité qui l’emporte. Mais ce n’est jamais dans une frustration parce qu’on prend toujours le temps d’expliquer et d’accompagner chacune de nos décisions, pour qu’on soit toutes les 3 alignées et que personne ne se sente jamais lésée.
Je vais vous raconter une petite anecdote : comme Elodie l’a dit, dans un groupe, il y a toujours une personne qui traverse une période de mou et l’avantage qu’on a, c’est qu’on sait se soutenir. Au début de Manoka, c’est moi qui traversais une période de mou. Elodie et Sandrine l’ont remarqué et se sont entendues pour me remonter le moral et m’aider à trouver un équilibre. Ça m’est arrivé, mais c’est aussi arrivé à Sandrine et Elodie… Mais on a cette capacité d’être naturellement là les unes pour les autres, les unes avec les autres. On se fait confiance.
Mais il faut toujours se poser les bonnes questions avant de s’associer avec quelqu’un, que ce soit notre ami.e ou pas. Moi, j’ai des ami.e.s que j’adore et pourtant ça ne me viendrait jamais à l’idée de faire un business avec ces ami.e.s là.
Quel conseil donneriez-vous à des ami.e.s qui aimeraient entreprendre ensemble ?
(Elodie)
La transparence. Il faut être transparent sur tout. S’il y a un doute, il faut toujours le dire. La transparence permet d’anticiper les choses, de comprendre les autres et d’avancer ensemble.
(Ingrid)
La transparence, c’est vraiment la base. Je rajouterais à cela qu’il faut être prêt à se faire confiance. Savoir qu’on peut compter l’un.e sur l’autre.
En tant que marque afro, comment est-ce que vous faites pour ne pas tomber dans les clichés auxquels on est souvent associés (wax, couleurs criardes...)
(Ingrid)
À la base, nous avons choisi la décoration d’intérieur, car nos goûts et appétences à chacune se réunissaient sur cette thématique.
L’une des idées fondamentales de Manoka, c’est de dire qu’on va faire découvrir l’Afrique autrement, avec sobriété et élégance. Ce qui est intéressant avec ce positionnement, c’est qu’on attire une clientèle très mixte : on retrouve beaucoup de Noirs, mais aussi des Blancs, des personnes d'horizons diveres et variées.
(Elodie)
Un point important à relever aussi, c’est que l’origine ethnogéographique de notre clientèle varie en fonction de nos différents canaux de vente.
Sur les pop-up, c’est essentiellement une clientèle afro que nous avons.
Sur notre site et différentes marketplaces, ce sont majoritairement des Occidentaux
Sur les réseaux sociaux, c’est très mixte.
Mais de façon globale, on peut dire que notre clientèle est très mixte.